Contrairement aux apparences, la décroissance ne se définit pas, comme une anti-croissance. Du moins, ce serait assez réducteur de s’en tenir là. Il est vrai que cela renvoie à une autre façon de vivre, moins axée sur la possession et l’accumulation, mais certainement pas en refusant le plaisir et le bien-être ! Cela se décline dans ce que Pierre Rabhi nomme une “sobriété heureuse”, c’est-à-dire le goût des choses simples et pourtant si riches de sens. Malheureusement quand on soulève le sujet, très vite les clichés fusent et bloquent le débat : retour à la charrette, aux bougies de cire, concept anarchiste ou sentant fort la nostalgie moisie d’un monde ancien et révolu… à peine prononce-t-on le mot qu’on perd très vite en capital crédibilité ! Bien à l’abri dans la Bulle Bio, cela mérite donc qu’on s’y attarde un peu.

Comprendre le terme de décroissance

Le concept de décroissance se justifie au travers de la priorité que l’on donne à la qualité et au lien social. Pour cela, il incite à remettre fortement en cause les fondements de notre société de consommation.

Le progrès et la croissance effrénée nous ont petit à petit conduit à intégrer que tout nous était dû et que nous le méritions bien. Il est donc important de remettre les choses à leur juste place et de laisser la technologie nous aider à mieux vivre, mais sans se laisser happer par un monde virtuel. C’est une façon de repenser ses besoins à l’aune des réalités et pas uniquement à l’aune des désirs matériels. Quels sont nos besoins réels ? Se nourrir, se sentir en sécurité, développer une vie sociale épanouissante. De là gravitent et se ramifient une multitude de plaisirs et besoins corollaires tels que voyager, avoir des loisirs, rencontrer des gens, etc. Alors oui, le concept de décroissance oblige à se poser des questions assez dérangeantes de type : suis-je en cohérence avec les valeurs que j’affiche ? Est-ce que mon mode de vie cautionne la surexploitation des ressources ? Ai-je conscience que je vis luxueusement ? Sans se braquer et sans craindre de culpabiliser d’une manière ou d’une autre, il faut juste se poser à soi-même ces quelques questions… et voir où ça nous mène.

Pourquoi questionner le modèle économique dominant ?

L’économiste Serge Latouche, fervent défenseur du concept de décroissance, dit que le gaspillage nous a bien montré les limites du modèle productiviste. La société de croissance a continué d’engendrer les inégalités et les injustices qu’elle se promettait pourtant de résoudre, tandis que le niveau de vie a élevé l’illusion au rang de réalité : consommer des biens et des services est bizarrement devenu synonyme de bien-être, alors que dans le même temps la qualité de l’air, de l’eau, et du milieu terrestre s’est dégradée de manière irréversible voire aujourd’hui dangereuse pour la survie de l’humanité (recrudescence des problématiques de santé, raréfaction des biotopes etc). C’est un renversement de situation : au lieu de servir et soutenir les sociétés humaines, l’économie est devenue la force vitale qui les maintient. Un autre économiste, Karl Polanyi avait déjà soulevé ce problème dès le milieu du XXème siècle, en appelant à redéfinir cet «encastrement » pour que le marché ne devienne pas le principe organisateur dominant de nos sociétés contemporaines. Peine perdue. Aujourd’hui, même le développement durable a du mal à préserver le sens de durable face à la sacro-sainte notion de développement. Or dans le contexte de crise socio-environnementale bien installée, il n’y a pas tellement d’autre alternative positive que de repenser notre mode de vie de manière plus sereine et moins dépendante d’un avenir incertain.

Sobriété heureuse et simplicité volontaire

La société étant malade de son matérialisme outrancier, ça ne peut faire que du bien de désencombrer un peu et de savoir trier le superflu de l’essentiel. C’est si bon de s’alléger…. on en devient addict ! Redonner une nouvelle vie aux objets en les achetant d’occasion ou en les échangeant, faire du troc de services, ne pas partir pour un week end thalasso en avion à prix bradés dès le premier coup de mou de l’hiver mais remplacer ça par une balade en forêt pour faire le plein d’ions négatifs, covoiturer autant que possible ou même ne plus utiliser de voiture quand on peut le faire à vélo ou à pieds, emprunter et mutualiser des outils au lieu de tout acheter pour bricoler 5 jours dans l’année… bref chacun peut s’accorder le droit de réfléchir à la meilleure façon de bien-vivre sans forcément en passer par une compulsion consumériste. C’est ce que le politologue Paul Aries, lui aussi très engagé dans les thèses décroissantes, appelle être « maître de ses usages », en opposant l’attitude du consommateur à celle du citoyen éclairé. Il ne veut pas y voir une stratégie d’adaptation à la crise, mais plutôt considérer que la sobriété et la simplicité volontaire représentent des vecteurs de renouveau et de respiration.

C’est tout ça que veut dire la décroissance. Et ce n’est pas si effrayant à apprivoiser. C’est même plutôt libérateur, non ?

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